L’homme a un rapport spécifique au temps parce qu’il est conscient de lui même et de l’écoulement de la durée. De ce fait, exister prend sans doute un sens particulier pour l’être humain. L’existence humaine est temporelle au sens où elle a le temps pour cadre et pour condition, elle est en relation consciente avec les trois dimensions du temps: remémoration du passé, attention au présent et attente de l’avenir.
Le fait d’avoir conscience du temps m’amène à penser que j’existe et que j’ai une place dans un espace - temps. Je suis là physiquement et intellectuellement. Je gère et construis mon temps dans lequel j’évolue. Je m’active dans un moment présent déjà au passé et qui génère un futur en renouvellement. Je vis l’écoulement de la durée selon des rythmes qualitativement différents. Ce qui conduit à distinguer l’inscription dans le temps des choses qui seraient simplement dans le temps et le temps interne à l’esprit humain.
Le temps est une notion abstraite dont la définition relève de la philosophie. Mais il a un équivalent concret, la durée, comme le rappelle l’axiome aristotélicien repris par les canons des tables alphonsines dès leurs premiers mots ( tempus est mensura motus : “ le temps est la mesure du mouvement “ ) et le temps compris comme la mesure d’une durée. Il intéresse tout à la fois l’astronomie, la vie en société, la politique, la religion, la technique et finalement l’histoire même de l’homme. Celui - ci a appris progressivement à évaluer les durées en les comparant à l’astronomie puisque c’est elle qui est responsable de l’alternance des jours et des nuits, des lunaisons et des saisons , qui gouverne le temps, que ce soit pour le temps court ( la partition de la journée en heures ) , le temps moyen ( l’accumulation de quelques journées pour former une semaine , un mois ou une année ) ou le temps long ( la somme d’un grand nombre d’années et leur repérage par rapport à un point de départ de l’ère). La science contemporaine a conduit à ouvrir très largement l’éventail des temps, à la fois vers des durées infiniment plus courtes ( on en est aujourd’hui à définir d’infimes fractions de la seconde ) et vers d’autres infiniment plus longues ( le temps cosmologique s’exprime en plusieurs milliards d’années ), et même s’affranchir , quand c’est possible , du temps astronomique.
Le temps fait partie du monde matériel . Pour mesurer le temps objectif l’homme se réfère à la science physique, aux mathématiques et donc a pris comme unité de mesure les astres. Il peut mesurer avec précision les intervalles du temps. Mais ce temps commun , que ce soit celui de la vie quotidienne qui rythme les activités sociales ou celui des scientifiques, ne se réduit pas à la propriété d’être mesurable. Il est ressenti, vécu, éprouvé par les êtres vivants que nous sommes, sous la double figure d’un temps créateur, qui porte toutes choses à maturité, et d’un temps destructeur. Mais les astres ne sont pas la seule unité de mesure du temps. Le temps ne peut être représenté sans recourir à l’idée de mouvement, à la notion de moment présent ou de maintenant. Aristote caractérise le mouvement du temps en impliquant une orientation linéaire du temps, de l’avant vers l’après ( selon l’ antérieur et le postérieur ). Le temps est ce qui rend possible le mouvement , tout comme l’existence du mouvement est perçu par l’homme du fait qu’un temps donné s’est écoulé. Ce qui implique donc la présence d’un esprit ou de l’âme capable de percevoir et de compter le temps. Il n’ y a donc pas que les astres qui mesurent le temps mais aussi l’âme car il n’y a de temps que dans la mesure où une conscience peut mesurer qu’un certain laps de temps s’est écoulé.
Alors le temps n’existe que parce que nous en avons conscience. Il est donc une condition subjective de la perception.. Il n’existe donc pas par lui même. Peut - être même que ni le temps, ni l’espace n’existent en soi ou à titre de déterminations objectives inhérentes au monde matériel. Ils constituent une sorte de prisme au travers duquel s’effectue la rencontre entre la sensibilité humaine et ses objets ( phénomènes ) , espace et temps ne sont donc rien en dehors du sujet et n’existent ni en eux mêmes, ni en soi ; c’est à dire : considérés indépendamment des conditions de leur appréhension par nous. Le temps n’est donc pas hors de nous mais on peut se demander si ce temps subjectif est le même que le temps objectif. Finalement le temps n’est pas là comme un cadre inné de l’expérience mais plutôt comme le produit d’une activité du sujet. C’est à dire que c’est la conscience, le sujet ou l’âme, qui mesure le temps, qui est sa propre unité de mesure, non plus par les astres, ni par l’horloge . Ce qui rend possible la mesure du temps, c’est la conscience de l’existence du passé, du présent et du futur. C’est ce que l’on nomme la tension vers ce qui fut et ce qui n’est pas encore, et son attention au présent qui constituent le temps, rendent possible sa mesure. Donc exister et être temps, c’est pour la conscience, endurer la distension de la mémoire et de l’attente. La corriger par une attention au présent apparaît comme la dimension du temps. La distension est l’acte par lequel l’âme se temporalise et se fait temps. Donc le phénomène de distension est l’essence même du temps.
Par l’exposé de cette réflexion sur l’essence du temps, je réponds à ma première interrogation qui est celle de l’existence du temps et je conclue que le temps n’est pas une donnée naturelle mais un produit culturel et que celui - ci domestiqué par l’homme devient donc le champ de l’histoire. Le décompte du temps s’avère être un héritage traditionnel remodelé par les décisions religieuses et / ou politiques. Loin de constituer une donnée naturelle, il s’agit toujours d’un fait ou d’un choix culturel variable suivant le temps et la culture envisagée. L’évolution de la conception du temps permet la mise au point de nouveaux types d’instruments. Ceux - ci modifient la perception de l’écoulement chronologique, influencent la vie quotidienne en permettant de passer du temps absolu au temps utile : c’est à dire qu’il crée le temps humain. Les coordonnées temporelles qui structurent l’ activité humaine résultent donc d’une lente maturation historique qui concerne d’abord les divisions internes de la journée, plus maîtrisables, puis s’intéresse au temps moyen ( mois /année ). La maîtrise du temps long ( cycles ou choix d’un point référentiel ) suppose quant à elle une organisation sociale et une tradition culturelle.
Ma deuxième interrogation porte sur la représentation picturale du temps.
Ma volonté de représenter et de mémoriser graphiquement le temps m’amène à être en quête de cette perpétuelle éternité , de l’absolu et de l’exactitude où je me préoccupe de définir la place de l’homme en cherchant les combinaisons possibles, en fonction des données de l’environnement extérieur dans lequel je vis et de ma perception concernant la description de l’être, des choses et du temps.
Le souci de mesurer le temps est intimement lié à l’émergence des civilisations.
Pour dominer le temps, se l’approprier et aussi pour structurer sa vie , l’homme a créé l’heure, des instruments de mesure comme les cadrans solaires, les clepsydres, la chronologie, le sablier, l’horloge, le calendrier ( solaire et lunaire), qui tous se présentent comme des instruments mis au point pour arpenter , calibrer et toiser, comme tout autre phénomène physique , un temps donné et extérieur .
Mon travail s’attache en particulier au calendrier. En effet, entre le temps court et le temps long , entre l’heure et l’ ère, le temps moyen que représente l’année s’inscrit dans le calendrier. Pendant de longs siècles, le calendrier ( manuscrit et perpétuel ) reste un objet coûteux voire luxueux , réservé essentiellement aux clercs et aux lettrés. Son utilisation est généralement motivée par des besoins d’ordres religieux ( la question primordiale étant de connaître les jours où il convient de prier Dieu ).
L’imprimerie et l’apparition du calendrier annuel vont affecter profondément formes et usages. Le calendrier imprimé devient en effet un objet quotidien : les tirages impressionnants atteints par ceux que propose la poste au XIX e siècle attestent de la diffusion de cet instrument, qui s’avère un intéressant support de propagande, politique ou publicitaire. De plus, le calendrier annuel remplace le calendrier perpétuel au milieu du XVI e siècle . On passe du temps cyclique hérité de l’Antiquité, à ce temps fuyant sans retour qui est le nôtre. Le calendrier recueille alors le temps de la liturgie et de la commémoration, il sert à se situer dans le présent en indiquant les travaux et les jours, mais aussi , à partir du XVIII e siècle, à se projeter dans l’avenir - et c’est la naissance de l’agenda.
Du calendrier prescripteur et collectif, qui définit les temps de prière et les occupations agricoles, on passe peu à peu à un calendrier laïcisé où s’inscrivent de nouveaux rythmes sociaux, voire à un simple cadre vide où chacun peut inscrire un emploi du temps de plus en plus personnel. |
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